2011-02-24

Réflexions sur la procédure de reconnaissance de nouvelles races de chiens par la FCI

Réflexions sur la procédure de reconnaissance de nouvelles races de chiens par la FCI

Bernard DENIS

Professeur honoraire à l’Ecole vétérinaire de Nantes

Membre de la Commission scientifique de la FCI

Régulièrement, les instances dirigeantes de la FCI font remarquer que le nombre de races de chiens reconnues officiellement est trop élevé et s’inquiètent des nouvelles demandes à venir. On entend même parfois exprimer l’idée selon laquelle il faudrait cesser de reconnaître de nouvelles races .... Cette position n’est pas recevable dans la mesure où il existe à coup sûr dans le monde des populations de chiens non encore standardisées qui mériteraient au moins autant que bien des races actuellement reconnues, de voir leur existence officialisée. Par ailleurs, on doit considérer que l’apparition d’une nouvelle population, est par principe, un enrichissement, notamment pour celles qui pré-existent. Dans ces conditions, le seul moyen d’éviter une inflation du nombre de races est de revaloriser la notion de variété et de reconnaître le plus possible de ces nouvelles populations candidates comme variétés.

Promouvoir la reconnaissance de nouvelles variétés plutôt que de nouvelles races présente plusieurs avantages:

officialiser le fait que des populations objectivement voisines puissent néanmoins être reconnues distinctement;

• offrir beaucoup de souplesse dans la gestion des problèmes « politiques » ou humains. Peu importe, ainsi, que soient reconnues plusieurs variétés nationales dès lors qu’elles font partie de la même race. En cas de mésentente entre deux groupes d’éleveurs, reconnaître à chacun « sa » variété peut aider à résoudre un problème à court terme et, par ailleurs, conserver de la variabilité pour le long terme;

• permettre à des populations qui, objectivement, existent, et auxquelles des éleveurs s’identifient, d’être reconnues, même si elles ont peu de chances de satisfaire un jour aux critères de reconnaissance d’une nouvelle race;

• aider à la gestion de la variabilité intra-race: une nouvelle variété est une source officielle de retrempe possible. D’un autre côté, si une variété disparaît, soit que des erreurs de gestion génétique aient été commises, soit qu’elle n’intéresse plus personne, l’avenir de la race dont elle faisait partie n’est pas pour autant compromis;

• etc....

Il nous semble que la reconnaissance d’une nouvelle race par la FCI devrait être un long processus, qui n’aboutisse d’ailleurs pas forcément à son terme, mais inclue toujours l’officialisation de la population candidate sous une forme ou sous une autre. Ce ”long processus“ pourrait être décomposé en trois temps: reconnaissance nationale, demande à la FCI, émergence.

1) La reconnaissance nationale

Toute population candidate fait d’abord l’objet d’une reconnaissance nationale, selon des critères laissés à l’appréciation de la Société canine du pays concerné. Celle-ci tient le livre généalogique et autorise la présentation de chiens en exposition avec le qualificatif, par exemple, de ”Type régional“. Les animaux ne font pas l’objet de jugements ni de concours mais peuvent être présentés en ring avec des commentaires sur leur histoire et leur orientation. Cette période dure le temps d’atteindre les critères démographiques requis par la FCI. Elle est mise à profit pour homogénéiser quelque peu le type, faire connaître la population, fiabiliser le livre généalogique et suivre l’état de santé des animaux. Si la population ne parvient pas à satisfaire aux exigences démographiques de la FCI, elle peut, au bout d’un certain temps, accéder à des jugements et des concours nationaux (à préciser) mais demeure qualifiée de ”type régional“.

2) Demande faite à la FCI

La population candidate doit, à ce stade, satisfaire aux exigences de la FCI (rédaction d’un standard, vérification de l’existence de huit lignées indépendantes, appréciation de l’état de santé).

On devrait ajouter au dossier un questionnaire dans lequel il serait demandé aux éleveurs de se situer par rapport aux races déjà reconnues:

- à quel ensemble racial la nouvelle population se rattache-t-elle, au plan scientifique tout au moins? La probabilité est très faible, même s’il ne faut pas l’exclure, de se trouver en présence d’une population totalement isolée et originale;

- de quelle(s) race(s) la population se rapproche-t-elle, par ce que l’on connaît de la phylogenèse et des ressemblances morphologiques. S’interroger sur ce qui serait sans hésitation utilisé en cas de besoin de retrempe est un bon critère d’évaluation;

- qu’est-ce qui distingue la nouvelle population des races voisines (morphologie, ADN, etc.)?

Si le dossier est en règle, la nouvelle population peut être reconnue comme ”race émergente“. Il importe qu’elle le reste longtemps (à définir).

3) Le temps de ”l’émergence“

La commission scientifique devra finalement répondre à la question: la nouvelle population a-t-elle valeur de race ou de variété? Il conviendra bien entendu que sa réponse soit argumentée. Dans l’esprit des scientifiques, le choix de l’une ou l’autre orientation n’aura pas d’importance, l’essentiel étant que la population soit reconnue. On se doute que les éleveurs ne réagiront pas de la même manière. ..

Il existe en effet de sérieux obstacles à la promotion des variétés:

- la variété est ressentie péjorativement ou, au mieux, ignorée. Les éleveurs des populations candidates se sentiraient ”abaissés“ de voir ”leur race“ reconnue comme ”simple variété“. Il y a tout un travail de revalorisation de la variété à conduire, qui implique peut-être l’invention de nouvelles récompenses en exposition;

- ce sentiment serait d’autant plus facilement ressenti que beaucoup des races actuellement reconnues ont en réalité valeur, scientifiquement, de variétés;

- une nouvelle population reconnue comme variété devra obligatoirement être incorporée à une race pré-existante. Or, il est probable que bien peu des races officielles actuelles accepteraient de se voir ”enrichies“ d’une nouvelle variété imposée par le Comité de la FCI.

Il reste que, si la FCI ne parvient pas à convaincre les nouveaux candidats à une reconnaissance officielle d’accepter une politique différente, elle se trouvera confrontée à un choix difficile:

- ou bien elle renoncera à l’idée d’enrayer la progression du nombre de races: il y en a sans doute encore beaucoup en réserve, et c’est une bonne chose;

- ou bien elle veut vraiment empêcher cette évolution et nous ne voyons pas comment il serait possible de ne pas ”montrer l’exemple“, en remettant en cause la position des races actuellement reconnues qui, en réalité, ne sont que des variétés.


Prof. Bernard Denis

Remarque: Ce rapport est un document de travail, censé représenter une position scientifique, qui peut paraître très irréaliste, voire provocante. Il nous paraît toutefois intéressant de l’avoir exprimée, en espérant qu’une réflexion plus administrative et diplomatique lui fasse suite.

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